La politique et l’écologie à hauteur d’homme

Jean-Luc Bertet

La géographie ne sert pas seulement à faire la guerre comme l’écrivait un géographe contemporain, mais aussi de la politique. Un documentaire juste sorti en salle montre à partir des réalités du bassin versant de la Loire comment s’y affrontent, au niveau micro local et autour de l’organisation du territoire, les logiques d’un présent sans avenir et celles émergentes d’un futur possible

Alors que le tandem Hollande-Valls, en programmant la disparition des départements et la fusion des régions finit de pulvériser les démocraties locales déjà mises à mal par Sarko, le documentaire, « La ligne de partage des eaux » fait cette tranquille démonstration de la nécessité du contraire. Tranquille, car le cadre du très beau film de Dominique Marchais est celui tracé par le fil de l’eau, depuis les sources de la Vienne, sur le plateau de Millevaches, sa jonction avec la Loire et la descente vers l’estuaire soit un gigantesque plan incliné de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés où autour de la confluence des eaux s’organise celle des hommes.

On se rappelle qu’à peine constituée, l’assemblée nationale, pour mieux maîtriser le territoire national, s’est posé dès juillet 1789 la question du découpage de la France en départements. Elle allait les dénommer (hors les zones de massifs montagneux) par le nom des fleuves ou rivières qui les traversaient et constituaient des bassins de vie, dont les contours marquaient parfois jusqu’à des différences linguistiques.

Une manière d’hommage, car la vie s’est organisée de manière séculaire autour de l’eau. Et elle continue de s’y développer avec manifestement moins de précautions. Non seulement, l’eau n’est plus visible, elle est devenue un obstacle que l’on franchit sans même y penser lorsqu’on emprunte routes ou autoroutes, mais elle a pâti des évolutions depuis plus d’un siècle. Les eaux mortes – retenues diverses, rus, ruisseaux, rivières – déviées, polluées, se sont multipliées aux dépens des eaux vives. Dans les espaces qu’elles dessinent sont apparus des stations d’épurations, des lotissements, des autoroutes, des centrales nucléaires, des infrastructures de tous ordres. Autant d’évidences regroupées hâtivement sous le terme de progrès qui témoignent d’une occupation de l’espace brutale et strictement utilitariste. Au niveau local pourtant, les consciences et les pratiques se sont modifiées. On suit les travaux des agents d’un parc régional recensant la vie microscopique au fond d’un ru, ceux d’un policier de l’eau, de paysagistes, d’élus, tous attentifs à refaire « méandrer » un minuscule cours d’eau, à préserver les arbres qui le bordent pour maintenir une température et donc l’existence de biotopes.

Ces réparations de ce qui peut l’être peuvent sembler de l’écologie dérisoire. Elles sont pourtant essentielles parce qu’elles obligent à des corrections agricoles, à un autre usage de l’espace public et privé. A l’évidence, les décisions ne sont pertinentes qu’au niveau microscopique local, autour de situations concrètes auxquelles seules des réunions d’élus et d’associatifs peuvent apporter des réponses, aussi imparfaites soient-elles. Elles sont à l’opposé d’une logique en cours. Celle du maire de Châteauroux – mais ce pourrait être celui de n’importe quelle ville moyenne – qui a bien voulu répondre au réalisateur l’illustre remarquablement. Il souhaite la création d’une nouvelle zone industrielle (annoncée de haute qualité environnementale !) pour créer des emplois dans sa ville qui possède déjà deux zones industrielles. 500 hectares de bonnes terres agricoles devraient lui être sacrifiés, comme beaucoup de commerces du centre-ville. Il paraît pourtant certain que cet aménagement du territoire fonctionne sur le mode d’une fuite en avant dans l’incapacité d’envisager un futur qui tienne compte des potentialités et réalités d’un espace et des hommes.

« La ligne de partage des eaux » ne se veut ni catastrophiste ni militant. Le propos n’est pas pour autant béatement optimiste ou apolitique. Il se donne comme un élément de réflexion qui appelle à l’action politique en fonction de perspectives de vie sociale maîtrisée qui tiennent compte des spécificités d’un pays, de ses données écologiques et des désirs de ses habitants. Le code de l’urbanisme définit le territoire comme « le patrimoine commun de la nation ». Là aussi, il ne faut rien lâcher.